Le sport c’est ressourçant et c’est facile…

Horizon pluriel n°37 /

Anne Laurent

Étape 1 : motivée

Je tiens un journal de bord de mes résolutions. Pêle-mêle se côtoient dans ma liste : lire Proust en commençant par la fin sans succomber à l’appel des madeleines, faire du sport, essayer la recette du curry d’agneau façon tantine, faire du sport (après le curry d’agneau, obligée), passer de 15 à 3 cigarettes, faire du sport (pour vérifier que ce qu’on raconte sur « tu respires mieux après » est vrai), regarder l’intégrale de Petit Ours Brun en anglais ou en italien (soit 203 épisodes), faire du sport – non pas parce que je serai restée dans mon canapé pendant les 1 218 minutes de la série mais juste parce que vous avez déjà essayé de mesurer les effets ne serait-ce que de 5 épisodes de Petit Ours Brun ? Ça peut donner envie de se dépenser !!

Ce journal de bord est la preuve de ma motivation, de mon enthousiasme à l’idée de faire du sport pour digérer l’agneau, digérer Proust, digérer Petit Ours Brun ! Ecrire « Faire du sport » c’est facile ! Penser « il faut que je fasse du sport » c’est facile !

Étape 2 : faire du sport c’est choisir, et choisir c’est mourir un peu non ?

Promettez-moi que vous témoignerez en ma faveur si je suis jugée pour non pratique sportive devant le tribunal international de lutte contre la sédentarité ! Parce que vraiment l’intention y était. Restait quand même une question épineuse : quel sport ? Et me voilà sur Internet à regarder des vidéos pour choisir. Curling : ça rappelle un peu trop le ménage. Natation : je me noie dans un verre d’eau. Vélo : je n’ai jamais réussi à enlever les petites roues. Soudain une révélation : le Cheese Rolling : youpi un sport fromager ! Je suis certaine que ce truc est fait pour moi ! Le principe : courir après une meule de fromage de 4 kilos lancée à toute allure. La meule en question peut dépasser les 110 kms heure. Ouille non, j’avais plutôt imaginé un concours de rouler-avaler des tranches de comté…

Est-ce que faire du sport et
regarder du sport, ce n’est pas un peu la même chose ?

Le choix est vraiment trop difficile ! Le prix de mon indécision : 1 h
par jour scotchée à mon écran et une addiction aux vidéos de sports insolites : natation dans la boue, course de chaise de bureau… Et c’est vraiment bête, mais cette heure sur mon canapé était justement celle que je prévoyais de consacrer à la pratique d’un sport. Est-ce que faire du sport et regarder du sport, ce n’est pas un peu la même chose ? On ne va pas jouer sur les mots. Et puis j’ai beaucoup ri devant ces vidéos donc, pour les abdos ça compte non ? C’est facile, c’est ressourçant les vidéos de sport.

Étape 3 : la motivation par la tenue

OK, ce qui va suivre peut piquer un peu du côté des stéréotypes de
genre. Mais tant pis j’assume ! Faut ce qu’il faut ! Ma bonne volonté n’a pas suffi et je n’ai pas réussi à choisir parmi tous les possibles. Comme je suis une incorrigible accro aux fringues, je me suis dit : si j’aime ma tenue, j’irai faire du sport ! CQFD. Me voilà partie chez D. Je passe tout de même au rayon vélo pour vérifier que les petites roues pour adultes n’existent toujours pas.

D., c’est le paradis sur terre ! Je ne sais pas où donner de la tête. Je
passe de rayon en rayon, j’admire, je me projette, je suis euphorique : c’est sûr, je vais FAIRE du sport ! Que dis-je, je vais faire DES SPORTS ! En vraie reine du shopping, je mets dans mon panier : un tutu rose qui me rappelle mes mercredis après-midi à la MJC, des bottes d’équitation tellement classes, 5 paires de baskets parce que je vais faire du tennis, du running, du marathon…, un piolet parce que les guides de haute montagne sont toujours canon, un maillot de bain parce que pour se noyer dans un verre d’eau, il faut être élégante. Un petit passage par le rayon lingerie spéciale sport et 12 brassières plus tard (pas réussi à choisir…), je passe à la caisse. C’est facile, c’est ressourçant de s’équiper.

Étape 4 : demain je m’y mets ! Ou peut-être ce soir…

De retour à la maison, je suis certaine que dès le lendemain j’inaugurerai mes tenues. Danse, équitation, natation, alpinisme et running, ma journée sera bien chargée. Je me lève tôt pour entamer mon « Sports day » à moi. Je regarde mes tenues et paires de basket et je m’interroge : quel sport pour le matin ? J’enfile mon tutu au moment où mon fils entre dans ma chambre. Son regard médusé me toise et il balbutie : « Maman tu tu… », « Quoi mon tutu ? », « Mais tu…tu… », « Quoi mon tutu ? ». À sa tête, je comprends que je vais attendre un peu pour la pratique de la danse.


Je me dis l’équitation, c’est bien le matin, à la fraiche… J’enfile mes
superbes bottes. J’ai de l’allure mais…me manque un truc essentiel.
Le cheval ! J’ai complètement oublié qu’il fallait un cheval pour aller avec mes bottes ! Il faut vraiment que je m’organise mieux. Le maillot de bain, ça c’est facile, avec un petit verre d’eau le tour sera joué. Je suis fin prête, j’ai même mis un bonnet. Me voilà installée dans la cuisine, à 8 h du matin en maillot et bonnet de bain face à un verre que j’ai pris soin de remplir avec une eau à 28 degrés. Je m’apprête à tremper un orteil quand la sonnette retentit. Je me précipite pour ouvrir. À la tête de ma voisine, je comprends que, pour la natation, ce n’est pas gagné non plus. Dépitée, j’attrape un piolet. Voilà je suis en maillot et bonnet de bain, un piolet à la main. Ma fille déboule et me demande l’air totalement innocent : « Tu dégivres le frigo ? Le piolet c’est pour casser la glace et le maillot c’est pour nager si ça fond ? ». Elle est fière d’elle en plus. Me reste les baskets. Mais là, il est 8 h 45 et il faut que je parte bosser. Je ne peux pas y aller en maillot, un piolet à la main, chaussée de bottes cavalières. Pas de sport le matin, trop compliqué. Je m’y  amettrai ce soir, promis.

Épilogue

Le soir je rentre tôt, il me reste mes paires de basket et finalement
un petit running dans le quartier, c’est une belle façon de m’y mettre. J’hésite parmi mes douze brassières, mais je finis par me décider. J’enfile mon legging « technique » (ah oui, j’ai aussi rempli mon panier de leggings techniques, j’aime bien ce terme, ça fait experte). Et je me dirige vers l’armoire à chaussures. J’enfile mes baskets à amortisseurs intégrés spéciales « débutante à motivation fluctuante ». Et mais… je n’arrive pas à entrer tout mon pied dans la chaussure. Je la retourne, c’est du 37, je fais un bon 39 ! Tant pis, j’en choisis une autre paire, j’ai bien fait d’en prendre plusieurs. Ha chouette, elle me va… Mais je fais un pas et ma basket est 2 mètres derrière moi. C’est du 42… Voilà, cela m’apprendra à ne pas essayer. J’ai acheté 5 paires de baskets attrapées au vol au rayon 39 mais j’ai un 36, 2 paires de 42, et 2 paires de 37. Elles étaient toutes mal rangées !


Résultat, j’ai un tutu, un piolet, des chaussures trop petites ou trop
grandes, 12 brassières, 203 épisodes de Petit Ours Brun et 105
vidéos de sport dans mon ordi, des leggings techniques, des bottes
cavalières, un maillot de bain… mais je n’ai toujours pas transpiré
d’une seule goutte. Mais c’est pas grave, au moins, j’ai contribué à la
croissance du PIB !

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