Personnes âgées, actrices et usagères des espaces publics

Horizon pluriel n°35 /

Entretien avec Pierre-Olivier Lefebvre

Délégué général du Réseau francophone des « Villes Amies des Aînés »

Proposer des espaces publics favorables à la santé et au bien-être de tous les habitants, quels que soient leur âge et besoins, est un postulat déontologique fort et largement partagé. Pour autant, sa mise en pratique concrète ne s’improvise pas. Nous sommes allés rencontrer Pierre-Olivier Lefebvre, délégué général du Réseau francophone des « Villes Amies des Aînés », pour recueillir son éclairage sur les principes et les modalités de mise en oeuvre possibles.

De quelle manière un projet d’aménagement urbain, peut-il intégrer les contraintes et besoins des publics avançant en âge ?

La prise en compte des attentes et des spécificités liées au grand âge passe nécessairement par une démarche qui saura réunir, aux côtés des techniciens et élus en charge des délégations sur tous les secteurs, l’ensemble des futurs utilisateurs, avec une place singulière réservée aux habitants âgés.
L’enjeu consiste tout d’abord à mettre en place un certain nombre de repères communs. Un des préalables sera de comprendre les rythmes de vie liés à l’avancée en âge, sans pour autant considérer les aînés comme un public homogène. Les personnes âgées de 60, 75 et 90 ans ne sont pas en effet les mêmes publics. De plus, l’évolution du potentiel physique, psychologique ou mental est une variable qui différera d’une personne à l’autre.
Les différentes fragilités, inhérentes à l’avancée en âge, vont avoir un impact sur la qualité des usages. En tant que telles, elles méritent d’être prises en compte à chaque fois qu’on conçoit un espace public. D’où la nécessité d’y sensibiliser l’ensemble des parties prenantes du projet, dont les professionnels du secteur « technique » – les ingénieurs des parcs et jardins, les services de la voirie… – qui, souvent, considèrent leur travail comme une mission « pour tous ». Or, parfois, une mission « pour tous » involontairement exclut les plus fragiles ou les plus âgés…

© shchus

Comment ce cheminement collectif se fait-il concrètement ?

C’est en déambulant ensemble dans un quartier, en partageant des observations avec les habitants, que les techniciens vont avancer dans leur perception du public, tout en affinant leur compréhension de l’attente de ce dernier.
Je vous donne un exemple concret. Quand vous interrogez les habitants dans le cadre d’une réunion, vous avez toutes les chances d’obtenir la réponse suivante : « On veut des bancs. » Or, quand vous faites un parcours en marchant, les habitants vont vous dire plutôt : « On voudrait s’asseoir sur notre itinéraire ». Et ce n’est pas du tout la même chose ! Dans ce deuxième cas de figure, vous disposez d’une marge de manœuvre vous permettant d’apporter une réponse plus fine et plurielle. Dans certains endroits, vous allez mettre un assis-debout, dans d’autres, si c’est en pleine nature, un tronc d’arbre, plus loin ça sera un strapontin, ou encore un mobilier urbain qui sera détourné de sa fonction première, comme un grand pot de fleur à la bonne hauteur…
Toutes ces adaptations s’inventent ensemble. L’expertise technique vient toujours après l’expression de l’expertise profane d’usage, et ce sans focaliser la réflexion sur le seul public âgé, mais en l’étendant à l’ensemble des habitants avec leurs besoins variés. Le vivre ensemble entre générations est essentiel pour que le projet réussisse.

A quoi doit ressembler un espace public, si on veut y voir les personnes âgées ?

Un espace public accueillant pour les aînés est un espace où ceux-ci pourront trouver des assises, une voirie en bon état, une signalétique claire et lisible, un éclairage public adapté… C’est un endroit où ils pourront se repérer facilement, avoir l’accès aux toilettes publiques gratuites, propres et qui donnent un sentiment de sécurité…

Il existe une dimension non matérielle qui influence tout autant les usages : le sentiment d’acceptation sociale et d’appartenance au monde qui nous entoure.

La qualité de l’environnement physique détermine fortement le sentiment de bien-être et la façon d’appréhender l’espace public. Cependant, il existe une dimension non matérielle qui influence tout autant les usages : le sentiment d’acceptation sociale et d’appartenance au monde qui nous entoure – est-ce que je me sens désiré dans la société d’aujourd’hui ? – qui peut s’altérer avec l’âge.

De quelle manière peut-on agir sur cette dimension non matérielle et pourtant déterminante pour la qualité d’usage d’espaces publics ?

Des nombreuses municipalités essayent de lutter contre l’âgisme, contre ce climat social où les personnes âgées seraient de trop dans l’environnement. En parallèle, elles interviennent auprès des personnes âgées elles-mêmes, pour les aider à développer un sentiment d’appartenance à leur territoire de proximité et la confiance dans leur capacité à se l’approprier.
Ce travail préparatoire peut se faire avec des professionnels qui connaissent les publics âgés – les animateurs de développement de territoire, animateurs formés au vieillissement… En amont des réunions, ils vont aller au-devant des personnes, pour faire grandir leur sentiment de capacité, inciter la participation au projet, et in fine, encourager le futur usage de l’espace.
En dehors de ce travail de mise en confiance, on va également chercher des solutions d’aménagement concrètes, permettant de créer des opportunités d’usage intergénérationnel.

Créer des opportunités d’usage intergénérationnel.

Pouvez-vous citer des exemples de ce type d’aménagement ?

Cela peut être un physio-parc1, ou tout autre équipement adapté à la fois aux enfants et aux adultes âgés, permettant de générer des prétextes pour faire des choses ensemble. La présence des animaux est par ailleurs identifiée comme un vecteur du lien intergénérationnel intéressant à exploiter dans les espaces publics. Tout comme les jeux de société : dans les jardins publics des villes de l’Est, on peut ainsi trouver des grands jeux d’échecs ou de dames.
L’espace doit s’organiser de manière à ce que différentes générations s’y plaisent, tout en veillant à ce que les uns ne dérangent pas les autres et que chacun puisse choisir d’entrer en contact avec les autres ou pas.
Il ne faut surtout pas être « intégriste » de l’intergénérationnel, mais avoir du bon sens. Si vous avez des boules de pétanque qui atterrissent dans un tourniquet, ça va mal se passer. Et de même si vous avez des enfants qui jouent au ballon dans le jardin des aînés !
Avoir une intelligence dans l’organisation de l’espace, c’est aider les gens à entrer en contact de manière positive.

Propos recueillis par Magdalena Sourimant

Jardin Jegaden à Brest : réinventer la vie d’un quartier autour d’un espace intergénérationnel

Situé au coeur du quartier Quatre-Moulins à Brest, le jardin Jegaden a été réaménagé en 2014 en concertation avec différents acteurs du secteur. De nombreuses associations, le conseil consultatif de quartier, les habitants (dont les enfants), ainsi que les résidents de l’EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) Louise-Le-Roux, ont été invités à exprimer leurs besoins et à donner leur avis sur l’avenir de cet espace public alors peu utilisé.
Ce projet visant la réhabilitation d’un espace vert a été une opportunité de réinventer la vie du quartier, avec pour ambition de créer un lieu d’échanges et de convivialité intergénérationnel.
Situé à proximité d’un EHPAD, composé d’espaces de détente, de jeux, de parcours sportifs de tous niveaux (un terrain multisports, un espace de musculation urbaine, une aire pour la pratique de sports doux) et d’une zone polyvalente pour les manifestations, ce parc public accueille aujourd’hui les habitants de tous âges. Chacun peut y venir se ressourcer ou retrouver la compagnie des autres.
Le maintien des relations intergénérationnelles est une préoccupation de la ville de Brest. Actuellement, sur le territoire de la métropole, coexistent plusieurs démarches de concertation associant les seniors, initiées autour de projets d’aménagement urbain.

Propos recueillis par Magdalena Sourimant

Eléments bibliographiques :

1 Un aménagement d’espace destiné à promouvoir des activités physiques adaptées.

HORIZON PLURIEL – N°35 – DÉCEMBRE 2018