La promotion de la santé est-elle soluble dans la temporalité d’un mandat politique ?

Horizon pluriel n°36 /

Les temps de l’élu : d’abord se former

Il est un fait que les professionnels de la santé publique n’envisagent pas toujours sa complexité. Après mon élection, j’ai été confrontée à celle-ci, ainsi qu’à la complexité de l’administration territoriale que je ne connaissais absolument pas. Les six premiers mois ont été principalement consacrés à cette appropriation des sujets et des modes d’action.

A Rennes, j’ai eu la chance d’être accompagnée par une équipe de plus de 40 agents, et de prendre le temps d’aller découvrir leurs différents métiers en suivant chacun des techniciens à tour de rôle, que ce soit dans les réunions sur les soins de santé primaire dans les quartiers, les déambulations nocturnes autour de la réduction des risques, l’effarouchement des étourneaux ou encore la découverte de logements insalubres.

J’ai aussi eu la chance que Rennes fasse partie du réseau français des villes santé OMS, réseau qui m’a nourrie tout au long de mon mandat. J’avais déjà travaillé sur les données probantes et la santé du côté des usagers dans mes engagements associatifs, je connaissais donc quelques concepts, ce qui m’a permis de me sentir légitime à assister à des conférences à l’EHESP (Ecole des hautes études en santé publique) et de m’immerger dans ces sujets. Pour autant, certains sujets étaient franchement ardus, et il m’a fallu du temps – et la liberté que confère la place de l’élu pour interpeller les chercheurs – pour me constituer des outils et pouvoir appréhender le champ de la promotion de la santé dans le cadre d’une ville.

Puis trouver sa place et son rythme dans l’agenda du mandat

En parallèle, il s’agissait d’appréhender la façon dont j’envisageais mon rôle d’élue, au sein du conseil municipal, en lien avec l’administration et bien évidemment, au service des habitant.e.s. Si nous portions un projet politique fort en tant qu’équipe municipale autour de la démocratie, il s’agissait de savoir comment j’allais le porter et le réaliser sur ma délégation.

J’ai ainsi pris le temps de formuler ma vision politique, celle d’un projet construit avec et pour les Rennaises et les Rennais, visant à réduire les inégalités sociales de santé et à agir sur les déterminants à travers une action intersectorielle. Mon rôle était alors celui d’écouter, de faciliter et d’animer pour porter la vision et défendre nos projets communs. Cela implique du temps pour aller rencontrer les habitants dans leur quartier, les partenaires et les associations, et de réunir ensuite tout le monde pour échanger, décider et rendre compte. Ainsi, nous avons mené un travail structurant sur l’observation et l’évaluation de la politique publique santé de la ville de Rennes et du contrat local de santé. Cela nous a permis de construire une vision à plus long terme que le seul temps du mandat, dans lequel la transparence vis-à-vis de la société civile, tout comme le travail de l’administration, sont garants du temps long.

Pourtant l’agenda d’un mandat est parfois dépendant d’un alignement des planètes. Des orientations prises sont alors liées au temps de la décision politique, au temps de l’actualité.

…aller rencontrer les habitants dans leur quartier, les partenaires et les associations.

La gestion des urgences

A avoir raison trop tôt, on peut sembler avoir tort. Lorsque je suis arrivée en 2014, le sujet de la qualité de l’air était à l’ordre du jour administratif et politique, mais beaucoup moins citoyen qu’aujourd’hui. C’est aussi un sujet complexe pour lequel la communication est fondamentale, tant l’opinion doute des scientifiques. La gestion de la question de la vitesse sur la rocade en 2014 et 2015 a été pour moi un échec. Pour autant, nous avons pu créer à partir de là un vrai projet autour de la pollution de l’air à Rennes, citoyen, scientifique et politique. Les messages sur cette question ont radicalement changé aujourd’hui.

© Radio Caravan

Je cherche aussi à toujours envisager les situations d’urgence comme autant d’opportunités de les prévenir par la suite. Quand je suis interpellée par une personne en souffrance face à une administration, le pouvoir de convocation me permet de réfléchir avec cette administration à la manière d’améliorer la situation de cette personne, mais surtout de changer le système pour que les usagers suivants n’y soient pas confrontés. De même, lors des dernières situations sanitaires tendues autour des camps de migrants, je propose de mettre en place des cellules opérationnelles pour permettre d’avoir des protocoles, et que chacun sache qui fait quoi.

… construire une vision à plus long terme que le seul temps du mandat.

Des freins…

Les obstacles sont d’abord liés à des questions de société. Le sujet de l’alcool est une bataille permanente de la santé publique, et si j’ai pu gagner certains arbitrages, par exemple le fait de ne pas servir d’alcool lors des réceptions officielles liées à mes dossiers à la ville de Rennes, c’est loin d’être généralisé. Les publicités des alcooliers sont devant tous les établissements scolaires de la ville sans que j’aie de moyens d’agir. Le pire est sans doute lorsqu’on me reproche de « n’être pas drôle », comme si l’alcool était la garantie de ce bon moment. Souvent, je réponds que je n’ai pas été élue pour être drôle.

ll y a encore un grand chemin à parcourir sur les questions de « comportements » liés à la santé, et principalement la compréhensions des causes sous-jacentes à travers les déterminants sociaux. Sur l’obésité, le tabac, j’entends encore trop de professionnels, comme de politiques, qui ne voient que la responsabilité individuelle.

Il y a eu aussi évidemment des obstacles politiques, liés aux lois et aux compétences. Nous n’avons pas autant avancé que je l’aurais souhaité à l’échelle métropolitaine, même si je suis aujourd’hui presque certaine que la santé aura une place bien plus importante, voire une ou un vice-président à Rennes Métropole au prochain mandat.

Enfin, certains sujets sont complexes en raison des questions idéologiques, comme par exemple le sujet des ondes électromagnétiques. J’aurais aimé le traiter différemment, en nous centrant sur des parcours – celui des personnes electro-sensibles – ou sur les usages, par exemple l’utilisation des portables chez les adolescents, et non sur une opposition entre données scientifiques divergentes d’une part, et les approches politiques d’autre part.

… et des avancées

Le travail mené pour redéfinir la fonction de l’élu et son rôle vis-à-vis de chacun, et les moyens engagés pour permettre aux habitants de décider, ont été une belle avancée. J’ai pu donner à voir de façon la plus transparente possible comment construire une politique par et pour les habitants, en nous basant sur des données scientifiques et en lien avec les partenaires. Par exemple, dans le cadre du conseil de la santé mentale, nous avons mis en place des règles, comme ne pas commencer les sessions trop tôt, faire des pauses régulièrement, faire attention au vocabulaire, pour créer un lieu cadre adapté à la participation des personnes en souffrance psychique.

Ce pouvoir de convocation du maire a aussi permis de faciliter l’interconnaissance et d’instaurer des politiques intersectorielles, comme par exemple l’urbanisme favorable à la santé qui a progressé de façon concrète et structurante à Rennes. Sur les soins de santé primaires, nous avons aussi pu contribuer à de très beaux projets, à Villejean et au Blosne notamment, des quartiers prioritaires de la ville.

Puis vient le temps de clore sa mission

Si je ne me représente pas, c’est pour plusieurs raisons. D’une part, la défiance de la population vis-à-vis du politique demande des réponses nouvelles. Le mandat unique est une façon efficace de réformer le politique.

A titre personnel, j’ai 45 ans, si je ne retravaille pas maintenant, je n’aurai plus de carrière. J’ai déjà énormément de mal à concilier mon mandat et ma vie professionnelle. Je n’écarte pas la possibilité de revenir à la politique plus tard. Mais là, j’ai besoin de me reconstruire une identité professionnelle, pour des raisons financières et aussi comme une garantie de ma liberté et de mon indépendance politique.

Entretien avec Charlotte Marchandise

Maire adjointe déléguée à la santé de la ville de Rennes, présidente du réseau français des villes-santé de l’OMS (organisation mondiale de la Santé)

Propos recueillis par Marick Fèvre

HORIZON PLURIEL – N°36 – DÉCEMBRE 2019