Huit heures de pirogue pour la « classe du goût » : le temps doit être un partenaire

Horizon pluriel n°36 /

Guyane Promo Santé (GPS), l’IREPS de cette immense région française, prend en compte les déterminants sociaux, environnementaux et le facteur temps.

L’action « classe du goût » à Camopi révèle les spécificités d’intervenir en promotion de la santé en Guyane, département français d’outre-mer situé à plus de 7 000 km de l’Hexagone. La Guyane présente des caractéristiques géographique et démographique atypiques : la forêt amazonienne recouvre 90 % du territoire. Le littoral est plus peuplé que l’intérieur des terres qui n’est souvent accessible que par voie fluviale et aérienne. La population constitue une mosaïque culturelle et linguistique composée de plus de 20 ethnies et/ou nationalités dont 45 % a moins de 20 ans.

«… temps de l’action, temps des publics de l’action, de leurs milieux de vie, des institutions régionales et locales, temps de trajet, temps logistique – ponctualité des piroguiers, navigabilité du fleuve, acheminement du matériel… »

Sa surmortalité prématurée et infantile élevée s’explique par ses facteurs de fortes inégalités de santé dont sa situation sociale fragilisée, l’offre de santé insuffisante et inégalement répartie sur le territoire. En plus des maladies endémiques de type infectieux-parasitaires, se greffe une prévalence des maladies chroniques et métaboliques : diabète, obésité, maladies cardiovasculaires… Constat d’autant plus inquiétant que la population majoritairement jeune n’est pas épargnée et peut constituer de ce fait une véritable bombe sanitaire à retardement. Les enquêtes alimentaires montrent la relation étroite entre les conditions socio-économiques précaires, la surcharge pondérale qui touche 15 à 16% des enfants âgés de 5 à 6 ans scolarisés1 , et une trop grande consommation de boissons sucrées et un trop faible apport en fruits et légumes. Les campagnes du Programme national nutrition santé PNNS descendantes, confrontées aux pratiques alimentaires diverses et aux barrières linguistiques, échouent à diffuser leur message de prévention.

En Guyane, face à ce contexte spécifique, l’intervention en santé publique se doit d’être innovante et adaptée dans sa démarche et dans ses objectifs. Ainsi la mobilisation de ressources locales et horizontales pluristructurelles s’impose : parents, communauté scolaire, animateurs socio-culturels. Et plus que tout, la prise en compte de la dimension temporelle comme partenaire est indispensable.

© nathsegato

Prenons pour exemple notre action d’éveil sensoriel à destination des enfants de la commune isolée de Camopi traditionnellement habitée par les Amérindiens Tekos et Wayapi. GPS a conclu un partenariat avec le Parc amazonien de Guyane (PAG) pour la mise à disposition gracieuse de la pirogue afin de réaliser le trajet de huit heures nécessaire pour s’y rendre. Cette action repose sur une animation trilingue (français-wayampi-teko) qui pose des questions linguistiques. En effet, quels sont les termes équivalents pour établir des repères communs, d’autant plus que les qualifications relatives aux 5 sens ne trouvent pas leur pendant dans les langues maternelles des enfants ?

Nous faisons le pari de nous appuyer sur des standards de qualifications inhabituels mais cohérents et précieux dans le cadre d’une approche communautaire.

Les chargés de projet de GPS ont à former les volontaires service civique (VSC) du PAG et de l’Education nationale. Ils interviennent dans un cadre où la culture « méthodologie de projet » reste absente, perturbant singulièrement l’avancée des activités. De plus, les VSC doivent faire face à une absence de légitimité quant à leur positionnement au sein de l’institution scolaire dans laquelle ils évoluent. Une légitimité difficile à conquérir ; le turn-over des volontaires est important, ils sont confrontés à des professionnels scolaires (directeur, infirmière, enseignant) pour qui le temps dédié au projet nutrition est une activité parmi tant d’autres et elle ne peut être exclusive.

Il apparait alors que le partenaire majeur à ne surtout pas négliger est… les temps, ou plutôt les temps. Tellement nombreux à prendre en compte : temps de l’action, temps des publics de l’action, de leurs milieux de vie, des institutions régionales et locales, temps de trajet, temps logistique – ponctualité des piroguiers, navigabilité du fleuve, acheminement du matériel, hébergement et restauration sur place – temps de la méthodologie de projet, temps du financement, temps disponible des intervenants. La clef de la réussite demande de se focaliser sur les temps de rencontre, de partage entre plusieurs parties qui doivent s’accorder pour articuler toutes les temporalités (conception, planification, réalisation et évaluation du projet).

Autrement dit, dans le contexte singulier dans lequel GPS assure ses missions de promotion de la santé, la donnée temporelle est au cœur du projet et son facteur de réussite

François Rezk

Président de Guyane Promo Santé, enseignant en sciences sociales à l’Université de Guyane

Éléments bibliographiques :

1 Bulletin épidémiologique hebdomadaire n°31 sept 2011

HORIZON PLURIEL – N°36 – DÉCEMBRE 2019