Jalons pour une histoire des risques liés à la sédentarité et à la promotion du « sport-santé »

Horizon pluriel n°37 /

Yves Morales, maître de conférences – creSco, Université Paul Sabatier Toulouse III

Les risques pour la santé, relatifs au manque d’exercice physique des populations, sont aujourd’hui l’objet d’une préoccupation croissante. Le récent rapport d’information sur l’évaluation des politiques de prévention en santé publique (2021) confirme l’alerte en dénonçant les « ravages de la sédentarité » envisagés comme « une bombe à retardement sanitaire ». Les propos laissent peu d’ambiguïté sur l’importance du danger, exigeant une réaction urgente des populations et des autorités politiques. La situation réclame la mise en oeuvre de politiques préventives plus volontaristes, considérant que « quatre à cinq millions de décès pourraient être évités chaque année si la population mondiale
était plus active physiquement ». En portant un regard historique sur cette situation, nous constatons que les comportements sédentaires font partie de ces risques « fabriqués » dont la rhétorique est devenue plus « tangible » au cours du temps. Ils prennent ainsi différentes formes réactualisées, sont soumis à des luttes définitionnelles entre groupes d’acteurs et gagnent en importance à travers l’impératif d’une promotion de l’activité physique favorable à la santé. 

Dans un format très synthétique, nous mettons à jour quatre étapes significatives, qui traduisent des déclinaisons spécifiques du problème public considéré et des dynamiques d’actions publiques engagées pour y remédier.

Les premières définitions de la sédentarité

La première séquence, observée sur une vaste période qui s’étend
de l’Antiquité à la fin des années 1950, met en évidence une définition très générique du risque sanitaire de la sédentarité (ou du « sédentarisme »), caractérisée par l’action délétère du manque d’exercice sur l’affaiblissement de l’organisme. L’inactivité prolongée, perçue comme antithèse du mouvement, est logiquement considérée comme dangereuse. Elle est d’abord déclinée, de façon empirique, sous la forme d’un déséquilibre fonctionnel, avant d’être envisagée par les physiologistes du XIXe siècle, sous l’angle de la balance énergétique.

Du point de vue de la prescription d’activité physique, les recommandations médicales invitent chacun à faire un exercice « réparateur » adapté à son tempérament et à son état de forme physique.

De la recommandation médicale aux campagnes médiatiques

C’est entre les années soixante et quatre-vingt que s’affirme un niveau de connaissances suffisamment robuste pour que le problème du manque d’exercice justifie des campagnes médiatiques plus ambitieuses. Les messages exprimés dans l’arène internationale, durant cette séquence, sont publicisés en France par les instances sanitaires du Comité Français d’Éducation pour la Santé ainsi que par des groupes d’acteurs mobilisés (CNOSF, Fédération Nationale de Cardiologie) qui jouent un rôle
d’« entrepreneurs de santé ». La nécessité de compenser les méfaits du monde industriel s’impose au regard de l’importance prise par les maladies dites « de civilisation » (affections cardiovasculaires,
obésité, diabète, etc.) mises en évidence par l’épidémiologie.

L’exercice physique devient l’antidote « naturel » à cet aspect négatif de l’évolution des conditions de vie, qui qualifie le problème à combattre. La démarche s’accompagne de conseils de « bonnes pratiques » dans l’objectif de modifier les styles de vie sur la base du message de « trente minutes d’activité physique par jour », tout en promouvant une mentalité plus sportive.

Le « principe de prévention »

La troisième séquence, repérée entre les années 1990 et 2007, représente un moment important de reconfiguration de l’action publique en matière de lutte contre la sédentarité. Elle débute par des injonctions devenues plus impératives. Considérée comme un « bien partagé », la santé s’installe dans l’arène des politiques publiques en affirmant le « principe de prévention ».

Dans ce contexte de sécurité sanitaire, le spectre de la sédentarité est conforté en tant que facteur de risque majeur de maladies chroniques, au premier rang desquelles se situe l’obésité envisagée par l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) en 1997 comme une épidémie mondiale. Le risque associé au manque d’exercice physique est requalifié comme un danger très sérieux qui grève les finances de l’État et qui pourrait, surtout, être évité par une démarche de prévention plus entreprenante. Le néologisme du « sport-santé »1, diffusé à cette période, facilite l’identification d’un nouveau champ de pratiques physiques, conjuguant les représentations sociales positives du sport, selon la dynamique d’un « corps capital », à l’objectif de préservation de la santé selon une visée d’utilité publique.

Le « sport-santé » : une approche collective

La dernière séquence, située entre 2008 (rapport INSERM) et nos
jours, est caractérisée par la mise à l’agenda politique du « sport-santé » (PNSSBE, plan national sport santé bien-être). La prévention requiert désormais une mobilisation de l’ensemble des partenaires, qu’il s’agit de rassembler au service de l’intérêt général (départements ministériels, fédérations sportives, collectivités locales et acteurs privés). Il faut insister sur la requalification du problème de la sédentarité, qui est décliné, par les instances sanitaires françaises et internationales, sous la forme d’une « prévalence de l’activité physique insuffisante »pour partie liée à l’importance prise par les outils numériques dans les modes de vie contemporains. Si le manque d’activité était envisagé jusque-là comme un facteur de risques de maladies chroniques, il est défini désormais comme constituant le risque lui-même. 

En considérant l’augmentation du nombre d’individus ne
respectant pas les seuils de pratiques recommandés par les instances sanitaires, l’argumentaire précise les contours du danger
en lui donnant un caractère paroxysmique. Face à l’accroissement de la sédentarité (référée à une dépense énergétique faible), de l’inactivité physique (référée aux seuils recommandés non respectés), et des pathologies qui leur sont associées, les instances sanitaires énoncent l’insuffisance d’activité sous la forme d’une véritable « pandémie » dont il s’agit d’inverser la tendance. Cette situation confirme que la prévention est au coeur de la santé publique, de même que la santé publique est au coeur du nouveau système de santé français élargi à différents partenaires de l’action publique.

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1 Concept utilisé pour la première fois dans ce sens par la FFEPGV (Fédération Française d’Éducation Physique et de Gymnastique Volontaire), en 1993.

La réduction de 10 % de la prévalence d’activité physique insuffisante est la cible fixée pour 2025 par l’Organisation Mondiale de la Santé Europe, Stratégie sur l’activité physique pour la Région européenne de l’OMS 2016-2025

HORIZON PLURIEL – N°37 – FÉVRIER 2022