Espaces publics : des usages différenciés

Horizon pluriel n°35 /

Lorsque l’espace est public, on est tenté de croire qu’il est fréquenté par tous. Or, s’il n’est pas pensé pour accueillir tous les publics, dans la diversité de leurs modes de vie, nombre de personnes n’y trouveront pas leur place. Les personnes en situation de handicap ne sont pas les seules concernées. Les personnes âgées, les femmes, les adolescents, les enfants, les familles, les personnes vivant seules, en situation de précarité, les touristes… ont tous leurs propres exigences qu’il faut décrypter et prendre en compte à chaque fois que l’on conçoit un aménagement public. La culture, l’état de santé… influent aussi sur les usages. De fait, l’accessibilité est d’abord un cheminement mental avant d’être un cheminement physique.
Pour intégrer tous ces paramètres dans la conception, la réflexion sur les parcours d’accès est aussi nécessaire que celle sur la place, le parc ou l’aire de jeux elle-même. La co-élaboration de ces espaces, basée sur les besoins des usagers, favorise de bons résultats.

L’accessibilité dépend avant tout de l’attractivité de la destination. Cependant, la lisibilité du trajet, le confort, le sentiment de sécurité, comme le temps disponible, sont des facteurs importants dans la prise de décision de sortir et de déambuler dans l’espace public.

La lisibilité

La lisibilité d’un site procède autant de sa notoriété que de sa facilité d’accès. C’est ce qui déclenche le choix d’un déplacement actif. Bien sûr, la signalétique ou la trame paysagère peuvent améliorer l’orientation, mais l’aménagement d’un espace vivant suppose de le localiser dans un endroit stratégique et de l’inscrire dans un maillage d’autres motifs de déplacement. Les continuités visibles et sans détour permettent de stimuler le flux des piétons et cyclistes. Les changements de direction et les ruptures font perdre de potentiels usagers.

Ils devraient satisfaire toutes les générations et la diversité des modes de vie…

Le confort

Le besoin de confort varie selon les publics concernés. Les personnes « à poussette » rencontrent sensiblement les mêmes difficultés que celles à mobilité réduite avec les obstacles et l’entretien des cheminements : hauteur, étroitesse, entrave des trottoirs (barrière, panneau, poubelle…), les trous ou les matériaux de la chaussée… Les personnes âgées ont besoin de haltes régulières, leur parcours doit être jalonné de bancs. La présence d’assise est également indispensable à l’ombre pour l’été et au soleil à l’abri du vent pour l’hiver, près des jeux pour les familles, au calme pour les solitaires, sous un préau pour les ados, avec des tables autour d’un barbecue pour la convivialité… La présence de toilettes rassure aussi bien les anciens que les femmes enceintes, les enfants ou les gros buveurs.

Le sentiment de sécurité

Le sentiment de sécurité influe sur la détermination à sortir. Il varie beaucoup selon les ambiances urbaines et les effets de rupture. La qualité de transition entre les domaines privé et public est primordiale. Les femmes ont souvent les mêmes appréhensions que les personnes âgées. Il faut travailler sur des ambiances rassurantes pour les voir sortir. La présence de nature influe autant que les formes urbaines, la localisation des commerces, des équipements, du patrimoine architectural et historique. L’eau et la végétation sont des éléments apaisants primordiaux, mais il ne faut pas négliger la présence humaine. Le positionnement des lieux de passage autant que les aires de repos ou de rencontre contribuent à tranquilliser. Il faut aussi traiter les secteurs stressants qui obligent à des stratégies de contournement (trafic routier, recoin, friche insalubre ou rassemblement de groupe intimidant).
Les familles répugnent à laisser sortir seuls leurs enfants à proximité de rues passantes pour des questions de sécurité. La plupart des publics, hormis les ados, fuient aussi le bruit. Les jeunes apprécient les endroits où ça bouge, où ils peuvent être vus des copains, mais pas des parents.

…il existe divers outils pour y parvenir : plans de déplacement communaux, marche exploratoire, cartographie collaborative, cartographie sensible…

La temporalité

Parent pauvre de la réflexion urbanistique, la temporalité agit pourtant à plusieurs niveaux. Les usages sont différents selon les moments de la journée, de la semaine ou des saisons. Le timing est serré la semaine, plus lâche le week-end. Il est donc souhaitable d’avoir des espaces de proximité de qualité, en complément des vastes espaces publics plus lointains. Ils peuvent être modestes, mais accueillants, pour offrir un ressourcement quotidien à chacun. Ils devraient permettre aux petits de s’y défouler au retour de l’école et de la garderie, aux adultes de s’y arrêter pour discuter ou se reposer. Les aménagements paysagers de bas d’immeuble, pour peu qu’ils permettent de se rassembler, de se poser, ou se cacher, sauter, faire de l’équilibre, ou d’interagir avec le milieu (cueillette, plantation, construction), sont généralement propices à de nombreuses activités. Chaque square peut avoir, en plus, des attractivités spécifiques permettant aux enfants d’en changer selon l’envie. Quant aux parcs, ils devraient satisfaire toutes les générations et la diversité des modes de vie, en favorisant la présence effective de chacune des « catégories » et la répartition des activités dans l’espace.

© Julien Eichinger / photomontage : AB - Promotion Santé Bretagne *

Une co-élaboration basée sur les usages

L’accessibilité est une dimension complexe qui nécessite de réfléchir en fonction des besoins locaux, mais aussi selon la configuration générale de la commune. Une attention particulière doit être portée aux populations qui fréquentent peu l’espace public : les femmes et les personnes isolées. Afin de recueillir les pratiques usuelles et à venir, il est préconisé d’associer tous les acteurs en amont du projet, dont les gestionnaires et les usagers. Leur implication est un gage d’optimisation du projet et la base du succès à venir.

Il existe diverses démarches intégrées (Evaluation d’impact sur la santé1, AEU22, ADDOU3, Espaces de ressourcement4, Sociotope5…) et divers outils pour y parvenir : plans de déplacement communaux, marche exploratoire, cartographie collaborative, cartographie sensible… Ces approches peuvent être déployées à l’échelle d’une commune, d’un quartier, d’un îlot ou pourquoi pas d’un établissement de santé, pour le bien-être et le ressourcement de chacun.

Anne Milvoy

Écologue urbaniste à l’Audiar (Agence d'Urbanisme et de Développement Intercommunal de l'Agglomération Rennaise)

Éléments bibliographiques :

1 Agir pour un urbanisme favorable à la santé, concepts & outils, sous la direction de A Roué Le Gall, EHESP, 2014 Lien

2 AEU2, ADEME, 2013 Lien

3 ADDOU : une démarche pour co-élaborer des quartiers favorables au bien-être, AUDIAR, 2014 Lien

Guide de l’urbanisme et de l’habitat durable, AUDIAR, ALEC, Pays de Rennes, 2008 Lien

4 Intégrer la santé et les usages dans les projets urbains communaux, Guide méthodologique et synthèse, AUDIAR, 2016 Lien

5 Manuel des sociotopes, M Nordström, A Sandberg et A Ståhle, édité en version française par AUDELOR et AUDIAR, 2009 Lien

HORIZON PLURIEL – N°35 – DÉCEMBRE 2018