Éditorial : Le temps, déterminant immatériel de la santé ?

Horizon pluriel n°36 /

« Plus on économise le temps, plus on a la sensation d’en manquer »1 . Prenons l’exemple de la voiture : sa généralisation répondait au besoin d’aller plus vite d’un endroit à l’autre, cela a nécessité la construction de routes et donc la reconfiguration du monde en fonction de l’existence de la voiture. Le nombre de voitures se multiplie, avec lui les embouteillages… et les temps de trajet rallongent. Il semblerait ainsi que, plus les modes de transports deviennent rapides, plus le temps passé dans les transports se prolonge. Sans compter toutes les autres conséquences sur l’environnement de la généralisation de la voiture et plus globalement des transports.

Notre société n’est pas à un paradoxe près, le temps en cristallise un particulièrement. D’un côté l’accélération de la technique, des transports, de la production, de la communication qui aurait dû nous faire gagner du temps, or celui-ci nous semble de plus en plus compté. Le temps devient une valeur qui doit être en permanence prise dans une logique de rentabilité, de productivité, il faut que le temps soit utile. Et de l’autre, des services publics de proximité qui ferment, qui se dématérialisent.

Le temps maitrisé est devenu un indicateur de performance de l’individu, l’eldorado d’une nouvelle liberté ?

Face à la pléthore d’illustrations dans toutes les dimensions de la vie, du temps de travail, en passant par notre vie numérique, notre vie de consommateur, le constat s’impose que le temps maitrisé est devenu un indicateur de performance de l’individu, l’eldorado d’une nouvelle liberté ?

Comme le rappelle Etienne Klein, physicien, « Le temps est une “chose” introuvable dont l’existence ne fait aucun doute. Une “chose” dont tout le monde parle, mais que personne n’a jamais vue. Nous voyons, entendons, touchons, goûtons dans le temps, mais non le temps lui-même. (…) Parce que le temps est toujours là alors qu’on dit qu’il s’écoule. Et qu’il existe indépendamment de ce qui survient, se transforme, vieillit et meurt ».

Ce numéro d’Horizon pluriel sera consacré à cette chose déroutante, décidément, qu’est le temps. Au-delà la notion familière, évidente, voire domestique, “gérable”. Il interrogera l’expérience individuelle et collective du temps – la façon dont les personnes perçoivent, gèrent et vivent la dimension du « temps » au quotidien – tout en s’intéressant à son impact sur la santé. Il invitera à analyser le rapport au temps, tant du côté de la population que des acteurs de santé (chercheurs, décideurs, opérateurs de terrain). A côté des témoignages et apports théoriques, se trouveront des exemples d’initiatives ou des mesures politiques (à l’échelle d’un territoire, d’une entreprise…) qui peuvent améliorer cette expérience du temps et in fine la santé des populations.

Alors nous nous demanderions s’il n’existerait pas plusieurs temps en même temps et au bout du compte, le temps pourrait ne plus du tout se ressembler.

Marick Fèvre

Présidente de Promotion Santé Bretagne

Éléments bibliographiques :

1 Accélération, une critique sociale du temps, Harmut Rosa

HORIZON PLURIEL – N°36 – DÉCEMBRE 2019

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