Éco-anxiété : de l’angoisse à la philosophie de vie ?

Horizon pluriel n°38 /

Eddy Fougier, politologue, fondateur de l’Observatoire du positif, chargé d’enseignement dans plusieurs écoles, notamment Sciences Po
Aix-en-Provence

Il est de plus en plus question d’éco-anxiété dans l’espace public. Éco-anxiété est un mot-valise qui est la contraction d’« écologie » et d’« anxiété ». Le Robert la définit comme une « anxiété provoquée par les menaces environnementales qui pèsent sur notre planète ». Pour une définition plus « savante », on peut se référer à celle de chercheurs australiens et néo-zélandais1 pour qui « L’ »éco-anxiété » est un terme qui rend compte des expériences d’anxiété liées aux crises environnementales. Il englobe « l’anxiété liée au changement climatique » (anxiété spécifiquement liée au changement climatique anthropique), tout comme l’anxiété suscitée par une multiplicité de catastrophes environnementales ».

L’éco-anxiété est liée à l’impact actuel du dérèglement climatique et de la dégradation de l’environnement sur la santé mentale. Mais il s’agit avant tout d’une angoisse d’anticipation. Cette anxiété est sans doute aussi le contrecoup d’un sentiment d’impuissance, de l’impression d’une grande inertie collective et individuelle par rapport à l’urgence climatique et de l’angoisse que cela peut générer.

Il n’existe pas cependant de définition « officielle » de ce qu’est l’éco-anxiété, tant du côté des pouvoirs publics, que du monde médical et psychiatrique. Celle-ci ne figure pas dans les classifications des maladies psychiatriques, comme par exemple dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux DSM-V de l’American psychological association (APA).

Une réaction normale

De très nombreux auteurs s’accordent, en effet, pour dire que l’éco-anxiété n’est pas une maladie mentale, mais bien plutôt une angoisse, qui apparaît comme une réaction tout à fait rationnelle compte tenu de la gravité de la situation. 

D’après le psychiatre Antoine Pelissolo et l’interne en psychiatrie Célie Massini, cette angoisse se rapproche par beaucoup d’aspects du trouble anxieux généralisé (TAG), ou « maladie des inquiétudes », qui peut se traduire par les symptômes suivants : « troubles anxieux : attaques de panique, angoisse, insomnies, pensées obsessionnelles, troubles alimentaires (anorexie, hyperphagie), émotions négatives (peur, tristesse, impuissance, désespoir, frustration, colère, paralysie)2». 

L’éco-anxiété peut néanmoins devenir pathologique lorsque le sujet est « débordé » par la peur. C’est la raison pour laquelle le monde médical et en particulier la psychiatrie s’intéressent désormais de près à cette notion. Des psychiatres américains ont ainsi créé la Climate psychiatry alliance, qui a pour mission de « sensibiliser la profession et le public aux risques urgents de la crise climatique et aux impacts profonds sur la santé mentale et le bien-être3».

Mais, pour certains, l’éco-anxiété ne se limite pas à une réaction émotionnelle face à des menaces environnementales. Il s’agit d’un véritable processus de prise de conscience susceptible de déboucher sur une profonde remise en cause de son rapport au monde et sur une « philosophie de vie4».

L’éco-anxiété est liée à l’impact actuel du dérèglement climatique et de la dégradation de l’environnement sur la santé mentale.

 

Une prise de conscience

Le psychologue praticien-psychothérapeute Pierre Eric Sutter définit ainsi l’éco-anxiété comme « un processus de prise de conscience aigüe des problématiques environnementales, actuelles et à venir, qui combine en amont :

  • des préoccupations cognitives pessimistes concernant le futur […] ;
  • un éco-stress terrassant, du fait d’enjeux écologiques gigantesques auquel il faudrait faire face sans le pouvoir, faute de disposer des ressources appropriées […], ce qui suscite des émotions négatives combinées […] et des ruminations provoquant un état anxieux spécifique ;
  • des dissonances ou conflits axiologiques avec les valeurs consuméristes et une crise de sens consécutifs à une « métanoïa » (conversion du regard soudaine ou progressive) qui change la « Weltanschauung » (vision du monde) et qui entraîne un retrait social voire une tentation d’isolement radical […] ;
  • des angoisses existentielles5».

Pour lui, ce processus de prise de conscience est susceptible de déboucher « soit vers un retour à l’homéostasie mentale positive favorable à l’engagement et à l’action écologique (« l’éco-projet »), soit vers une manifestation psychopathologique reconnue (anxiété chronique voire dépression réactionnelle) ». 

Il identifie ainsi « 11 étapes du processus d’éco-anxiété » qui forment ce qu’il appelle la « courbe de l’éco-anxiété » avec l’étape-clef de la « vallée de la mort » au cours de laquelle « soit l’éco-anxieux traverse la vallée de la mort et remonte peu à peu la pente vers l’accomplissement de son « éco-projet », soit il bascule dans la dépression ».

Une étude sur l’éco-anxiété menée auprès de 284 étudiants américains indique à ce propos que le fait de s’engager dans une action collective, mais pas nécessairement dans une action individuelle, atténue significativement l’association entre la déficience cognitive et émotionnelle de l’éco-anxiété et les symptômes du trouble dépressif majeur6.

 

Un véritable de prise de conscience susceptible de déboucher sur une remise en cause de son rapport au monde et sur une philosophie de vie.

Des éco-émotions

Plus largement, des chercheurs s’intéressent de plus en plus aux  « éco-émotions ». L’une des principales spécialistes de ce sujet, Panu Pikhala de l’université d’Helsinki, considère que celles-ci peuvent être aussi bien négatives que positives7. Les éco-émotions positives sont les suivantes pour elle : motivation, envie d’agir, détermination ; plaisir, joie, fierté ; espoir, optimisme, responsabilisation ; sentiment d’appartenance, d’unité et de connexion ; amour, empathie, bienveillance, compassion.

Le médecin épidémiologiste Alice Desbiolles va même jusqu’à parler d’une « éco-anxiété positive, portée vers l’action et documentée, [qui] peut devenir une véritable philosophie de vie ». D’après elle, cette philosophie de vie « a le potentiel d’aboutir à un nouvel humanisme, plus inclusif, c’est-à-dire centré sur le Vivant dans son ensemble et non seulement sur l’Humain8». 

1 Teaghan L. Hogg, Samantha K. Stanley, Léan V. O’Brien, Marc Wilson et Clare R. Watsford, The Hogg Eco-Anxiety Scale: Development and validation of a multidimensional scale, Global Environmental Change, novembre 2021, https://doi.org/10.1016/j.gloenvcha.2021.102391.
2 Pelissolo Antoine, Massini Célie, Les émotions du dérèglement climatique, Flammarion, 2021.
3 https://www.climatepsychiatry.org/
4 Desbiolles Alice, L’éco-anxiété. Vivre sereinement dans un monde abîmé, Fayard, 2020.
5 Sutter Eric, Éco-anxiété, comment la définit ?, Observatoire des vécus du collapse (Obveco), décembre 2021, https://obveco.com/2021/12/04/definition-eco-anxiete/.
6 Sarah E. O. Schwartz & al., Climate change anxiety and mental health: Environmental activism as buffer, Current Psychology, 2022, https://link.springer.com/article/10.1007/s12144-022-02735-6.
7 Panu Pihkala, Toward a Taxonomy of Climate Emotions, Frontiers in Climate, janvier 2022, vol. 3, https://www.readcube.com/articles/10.3389/fclim.2021.738154
8 Alice Desbiolles, op. cit.

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