Des espaces de jeux attractifs et épanouissants

Horizon pluriel n°35 /

Devant le constat d’une désaffection de nombreuses aires de jeux, l’Audiar s’est interrogée sur leur intérêt pour les enfants et la santé publique, et sur les moyens de leur meilleure intégration dans les projets urbains. Pourquoi voit-on les mêmes jeux partout ? Sont-ils l’objet d’une demande sociale ? Quel est leur poids face à la concurrence des jeux vidéo et des autres sollicitations plus ou moins addictives ? Pourquoi certains espaces fonctionnent-ils mieux que d’autres ? En quoi contribuent-ils à la qualité de vie des citadins (enfants, adolescents, parents…) ? Comment produire des lieux animés ?
Cette réflexion sur les espaces de jeux est née du décalage fréquemment constaté entre l’ambition des projets et leur mise en oeuvre effective. Jusqu’à peu, la création d’aires de jeux se traduisait par l’installation de structures monofonctionnelles et stéréotypées dont les enfants se lassaient très vite. Le décryptage des modes de fabrique de la ville a permis d’identifier les freins et les leviers pour concevoir des espaces ludiques attractifs répondant aux besoins de socialisation, de développement et d’épanouissement de l‘enfant. Les principales mesures consistent à remettre les finalités du projet au coeur des décisions, en avançant le processus de production de manière collégiale.

© Typomaniac

Des espaces de jeux incitant à sortir de chez soi

La conception d’espaces à vivre passe en premier lieu par la prise en compte des usages et des besoins des utilisateurs.
Un espace de jeux bien conçu pour les enfants est l’endroit idéal pour se défouler, développer son corps, affiner sa motricité, faire l’apprentissage du danger, surmonter ses peurs, construire, expérimenter, développer l’imaginaire, tisser des liens sociaux. Il doit favoriser le rapport à la nature et l’interactivité. L’enfant doit pouvoir jouer avec l’eau, la terre, le sable, le vent, le soleil, voire le feu, de manière physique ou symbolique, mais aussi avec la végétation, afin d’éveiller ses 5 sens, sa conscience de soi et sa créativité.
Les structures de jeux ne sont pas nécessaires partout, mais les possibilités de jouer sont primordiales pour se cacher, se percher, sauter, faire des équilibres, discuter, se poser, rêvasser, construire, cueillir…, y compris dans les espaces de proximité.
L’espace doit donc être multiusages et dédié à des publics diversifiés et ciblés pour s’adapter à leurs modes de vie, leur genre : les petits, les moyens, les ados, les sportifs, les créatifs, les calmes, les solitaires, les grégaires, les timorés, les téméraires,… Convivial aussi bien pour eux que pour les adultes, accompagnant ou pas, jeune ou vieux, homme ou femme, de toute culture, il permet de se rencontrer, se rassembler, mais aussi de se reposer, voire de jouer ou de s’entretenir (jeu de boules, fitness, parcours sportif, escalade…).
Ces aires de jeux de qualité s’insèrent dans un maillage d’espaces publics accessibles pour favoriser l’autonomie de l’enfant. Leur positionnement dans des endroits stratégiques (au centre-ville, près des écoles, en bas des collectifs, en ouverture sur la campagne…) favorise la réponse aux besoins qui évoluent selon les moments et le temps dont on dispose dans la journée. Leur lisibilité doit être immédiate, la morphologie urbaine et la signalétique paysagère évidentes, leur environnement sain.

Se défouler, développer son corps, affiner sa motricité, faire l’apprentissage du danger, surmonter ses peurs, construire, expérimenter, développer l’imaginaire, tisser des liens sociaux…

Remettre les usages et la finalité au cœur du projet

Pour créer ces espaces attractifs, les modes de fabrique de la ville doivent changer. La manière linéaire de concevoir les espaces publics contribue souvent à réduire l’ambition du projet. L’un après l’autre, chaque protagoniste prend en compte ses propres contraintes et simplifie la réponse à donner. A force de tendre vers le risque zéro, les enfants n’ont plus de terrain d’investigation, leurs jeux sont standardisés, normés. Il devient difficile de les détourner et de se les approprier.
C’est pourquoi les commanditaires, aménageurs, gestionnaires et usagers (ou leurs représentants) doivent travailler ensemble autour de la table, pour trouver collectivement les solutions aux impératifs, sans perdre de vue les usages et publics à satisfaire. La visite collective d’espaces de qualité est aussi un bon levier.
Le préalable est la sensibilisation de toute la chaîne de décision, y compris les parents, car le bon développement de l’enfant requiert des prises de risque limitées et contrôlées dès le plus jeune âge. Chaque pays se fixe ses contraintes techniques, économiques, sanitaires et d’usage qui varient aussi selon les cultures et les collectivités… Bien qu’il existe des normes européennes de jeux, leur interprétation et la manière de les contrôler influent sur leur mise en oeuvre. Contrairement à la France qui surajoute d’autres normes, en Belgique, l’attractivité passe avant tout. « Le droit aux bleus » est acquis car quand aucun accident n’est constaté, c’est que vraisemblablement l‘aire est désertée. Les professionnels de santé auraient un rôle à jouer dans l’accompagnement de cette mutation sociétale, et une clarification à faire entre risque sanitaire et amélioration de la santé physique et mentale des enfants.

Le changement est à l’oeuvre dans la région rennaise

Dans Rennes et ses environs, les habitudes de conception évoluent grâce aux démarches de concertation dans les quartiers de la politique de la ville (squares du Bonheur ou de Nimègue, parc Berry…), grâce aussi aux opérations d’urbanisme fondées sur les modes de vie ou l’aménagement d’espaces de ressourcement (Chevaigné). Depuis, les projets se multiplient à l’image de l’aire de jeux du parc du Thabor, toujours très fréquentée et où certains jeux sont accessibles aux enfants en fauteuil roulant.
L’évolution des modes de faire, de plus en plus souvent basée sur les usages et les déterminants de la santé, crée de meilleurs plans-guides et des projets plus adaptés à la complexité de notre société. Le but est de voir davantage d’enfants, mais aussi d’adolescent.e.s, jouir d’espaces ludiques multiusages, multiculturels, multigénérationnels et évolutifs.

Cours de récré, espaces de loisirs… : où sont les filles ?

L’usage d’un espace de jeux est fonction de son attractivité et de la marge de liberté dont disposent les enfants dans la manière de se l’approprier. Cette marge de liberté, variable d’un terrain à l’autre, serait, de surcroît, inégale selon que l’on est fille ou garçon….
Edith Maruéjouls, géographe du genre, créatrice du bureau d’études L’ARObE (Atelier recherche observatoire égalité), dénonce dans ses travaux* une répartition genrée des espaces de loisirs, en insistant sur son caractère précoce, générateur d’inégalités. Dès la cour de récré, les filles se trouvent reléguées au rôle d’observatrices, occupant systématiquement les abords d’un espace central (terrain de foot, skate parc…), majoritairement investi par les garçons. Cette inégalité se voit accentuée par les attributions budgétaires : les aménagements orientés vers les activités privilégiées par les hommes représentent environ 80% des dépenses d’équipements sportifs publics.
Les espaces destinés à l’épanouissement et aux loisirs seraient donc essentiellement pensés pour les hommes. Cette réalité pose à la fois la question de la libre utilisation de l’espace public par les femmes et celle de leur libre choix en termes d’aménagement du temps…

* Edith Maruéjouls a soutenu sa thèse en 2014 : « Mixité, égalité et genre dans les espaces du loisir des jeunes. Pertinence d’un paradigme féministe ». Ses travaux portent sur les fondements de la répartition genrée de l’espace public. En savoir plus 

Anne Milvoy

Écologue urbaniste à l’Audiar (Agence d'Urbanisme et de Développement Intercommunal de l'Agglomération Rennaise)

Eléments bibliographiques :

Intégrer la santé et les usages dans les projets urbains communaux, A. Milvoy, AUDIAR, 2016. Lien

Aménager des espaces de jeux favorables à la santé, A. Milvoy, AUDIAR, A. Roué Le Gall, EHESP DSET, in La Santé en action, 2015. Lien

Aires de jeux : lieux d’épanouissement ?, diaporama, A.Milvoy, A. Hache, AUDIAR, 2014. Lien

Réaménagement du square de Nimègue à Rennes, A.Hache, AUDIAR, 2013. Lien

Manuel sécurité des aires de jeux en Belgique, 2e édition, 2003. Lien

HORIZON PLURIEL – N°35 – DÉCEMBRE 2018