Décarboner la santé

Horizon pluriel n°38 /

Laurie Marrauld, enseignante chercheuse à l’École des hautes études en santé publique (EHESP)

Les effets du climat sur la santé

D’après la revue médicale reconnue internationalement, The Lancet1, le changement climatique représente la plus grande menace du XXIe siècle pour la santé humaine. Les modélisations du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) démontrent la possibilité d’un réchauffement global planétaire allant jusqu’à 5°C en moyenne si nous n’infléchissons pas les tendances des émissions de gaz à effet de serre actuelles, ce qui se traduirait par une « menace existentielle » pour l’humanité.

Dans tous les cas, un réchauffement de 2°C de température moyenne est attendu d’ici à 2050, en raison du carbone déjà émis et de l’inertie du système économique. Cette élévation de 2°C représenterait le début de l’insécurité alimentaire mondiale. Les conséquences sur nos environnements et nos sociétés, induites par le changement climatique actuel et les modifications environnementales, seront nombreuses, variées dans leur forme et dans leur expression. Ces conséquences représenteront autant de situations inédites et souvent difficiles à anticiper – comme la crise sanitaire et économique de la covid 19 de probable origine environnementale – auxquelles nos sociétés doivent se préparer pour devenir résilientes.

Le système de santé et son organisation sont parties prenantes des constats énoncés ci-dessus. La position singulière du secteur de la santé dans l’économie pose la question de sa vulnérabilité potentielle, tant en tant qu’offreurs de soins que structures complexes dépendantes de nombreux approvisionnements pour fonctionner.

La décarbonation de la santé ne pourra être atteinte sans déployer largement la prévention.

Les effets du système de santé sur le climat

Si nous connaissons de mieux en mieux l’impact de l’environnement et du changement climatique sur la santé, il semble que nous soyons moins conscients de l’impact du système de santé lui-même sur l’environnement et le climat et des conséquences de cet impact en matière de résilience du système de santé. Au niveau mondial les systèmes de santé représentent environ 4,4 % de l’empreinte carbone.

En France, l’association The Shift Project2 estime que l’empreinte carbone du système de santé représente près de 8 % de l’empreinte carbone nationale. Parmi les postes les plus émissifs au sein du système de santé on trouve l’industrie pharmaceutique et de dispositifs médicaux (30 à 50 % du total), les transports (15 à 20 %), l’énergie consommée (10 à 15 %), les immobilisations (9 %), l’alimentation (6 %), les déchets, gaz anesthésiants et autres services (environ 2 %).

L’ensemble des mesures proposées pour atteindre la décarbonation des différents postes du bilan carbone permettrait d’obtenir une baisse prévisionnelle de 50 % des émissions d’ici à 2050. Or, les accords de Paris signés en 2015 stipulent que les pays les plus émissifs doivent réduire leur empreinte carbone de 80 % d’ici à 2050 pour espérer rester sous la barre des 2°C. Il reste donc 30 % d’émissions que le secteur de la santé va devoir aller chercher ailleurs que dans les postes d’émissions. Mais où ? La réponse réside dans de nombreux travaux de santé publique et de médecine, et même dans un de nos adages populaires : mieux vaut prévenir que guérir. Il est désormais évident que la décarbonation de la santé ne pourra être atteinte sans déployer largement la prévention.

Investir dans la construction d’environnements favorables
à la santé.

Décarboner le système de santé

Représentant aujourd’hui environ 3 % du budget de la Sécurité sociale, les politiques de prévention et de promotion de la santé restent sous-exploitées. Pourtant, d’après l’OMS3 les maladies non transmissibles représentent 71 % des morts au niveau mondial et une proportion importante sont dites « civilisationnelles » c’est-à-dire liées aux modes de vie et potentiellement évitables. Les maladies cardio-vasculaires sont les plus meurtrières avec 17,9 millions de morts annuels, suivies des cancers (9,3 millions), des maladies respiratoires (4,1 millions) et des diabètes (1,5 million). Il est prouvé que la consommation de tabac, l’inactivité physique, la consommation importante d’alcool et les mauvais régimes alimentaires accroissent le risque de mourir prématurément des maladies précitées.

La réponse du système de santé pour prendre en charge les maladies chroniques est aujourd’hui plus curative que préventive. Or le système de santé n’est pas qu’un système de soins. Son travail est aussi d’assurer une meilleure autonomisation des patients et un progrès de l’espérance de vie en bonne santé. Les politiques trans-sectorielles santé-environnement explorent ces dimensions en s’appuyant sur les co-bénéfices obtenus pour la santé et pour l’environnement. Les interventions faites en faveur du climat sont à ce titre très illustratives : une meilleure isolation des bâtiments représente un meilleur confort thermique et une meilleure santé respiratoire pour l’usager ; le déploiement de mobilités douces et moins d’alimentation carnée participent à la bonne santé cardiaque ; davantage d’espaces végétalisés et moins d’artificialisation des sols aident à un meilleur équilibre de la santé mentale, au rafraichissement des villes et à l’absorption du CO2.

Basculer du curatif au préventif

Si ce basculement du curatif vers plus de préventif est souhaitable pour des raisons écologiques, il l’est aussi pour des raisons de santé publique et économiques. Comment, dès lors, amorcer la bascule dans le bon sens ? En investissant dans la construction d’environnements favorables à la santé. 

Tout d’abord il faudra faire évoluer les profils d’emplois et développer fortement la formation en santé-environnement et en transition écologique auprès de tous les acteurs du monde de la santé, soignants et non-soignants. Il ne s’agit pas seulement de vouloir soigner plus « écolo » ou de faire de la prévention auprès de la population, il s’agit aussi d’encourager de nouvelles pratiques au sein des établissements4 5

La recherche en évaluation d’impacts sur la santé devra aussi être soutenue. 

Également, toute l’ingénierie de conduite de travaux, urbanisme, paysagisme, design d’espaces, constructeurs de véhicules de mobilité douce, primeurs locaux, etc., auront une place importante à jouer dans la santé des populations. Enfin, les experts du champ de la responsabilité sociale et environnementale (RSE) en santé seront mobilisés pour faire le lien entre les différentes institutions de santé, transmettre les pratiques de pertinence des soins, aider à la décarbonation des industries pharmaceutique et digitale en santé.

C’est bien la coordination de l’ensemble des acteurs structurant les dynamiques et stratégies territoriales dans lesquelles les structures de santé ont un rôle majeur, qui permettra d’impulser une transformation profonde des manières d’habiter les espaces et de gérer la santé des individus. Et ce, à des échelles qui soient en cohérence avec les spécificités des territoires incluant les impératifs de soutenabilité environnementale, économique et sociale.

Dans les établissements de santé

Le Ségur de la santé, de juillet 2020, prévoit d’« accélérer la transition écologique à l’hôpital et dans les établissements médico-sociaux » au travers de mesures concrètes de meilleure gestion de l’énergie, des achats, des déchets…


La fédération hospitalière de France s’est engagée avec un prix Transition écologique et une série de webinaires. En Bretagne, l’agence régionale de santé a mis en place un comité de pilotage et un réseau de conseillers en transition énergétique et écologique (https://www.bretagne.ars.sante.fr).

1 Costello A., Abbas M., Allen A. et al., Managing the health effects of climate change, The Lancet, 2009; 373: 1693-1733.
2 L’association The Shift Project réalise des travaux de recherche en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone et visant à éclairer et influencer le débat sur la transition énergétique. theshiftproject.org
3 Organisation mondiale de la santé, Noncommunicable diseases, https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/noncommunicable-diseases.
4 L’École des hautes études en santé publique propose en ce sens une formation courte ChanCES
5 L’Alliance santé planétaire est un collectif de soignants engagés sur le sujet environnemental qui mène des actions en faveur de la décarbonation et de la dépollution du secteur de la santé.

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